13 Lug Sommes-nous face à une crise de la raison?
Le spécial “The Remains of Regensburg” est édité par Gabriele Palasciano. Un texte de Solange Lefebvre*.
Ne reste-t-il que le traitement médiatique partiel de Ratisbonne? Les brefs propos de Benoît XVI sur le djihad frappèrent l’opinion publique. Depuis les événements de septembre 2001, alors que des actes terroristes furent spectaculairement commis aux États-Unis par des islamistes fanatiques, les débats publics se sont crispés sur un petit nombre d’idées reçues très négatives sur la religion, notamment son caractère violent, discriminant et menaçant. Les propos de l’empereur byzantin Manuel II Paléologue, que rapporte Benoît XVI, et dont le dialogue avec un érudit perse est traduit et commenté par Théodore Khoury, contribuèrent donc à alimenter ces controverses. Il faut dire qu’ils s’attaquaient à l’Islam et d’une manière « abrupte au point d’être pour nous inacceptable », disait pourtant finement le pape. Il les rapporte, étant manifestement fasciné par les questions de fond que soulève l’empereur sur les rapports entre la raison et la foi, qui lui sont chers.
Le centre du propos concerne en effet le rapport fondamental et juste entre raison et foi, sans lequel une religion peut dériver dans la violence. Le pape Benoît XVI rapporte notamment ces propos (et laissons de côté l’allusion à l’islam): « Ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu … Celui qui veut conduire quelqu’un vers la foi doit être capable de parler et de penser de façon juste et non pas de recourir à la violence et à la menace … pour convaincre une âme douée de raison. » (p. 2) Ce dialogue entre érudits illustre un courant théologique ancien et profondément évangélique, soutenant que l’idée de contraindre quelqu’un à la foi par la violence physique contredit la nature même de Dieu et de la foi, de toute foi religieuse. En matière religieuse, lorsqu’il s’agit de convaincre ou de convertir, on ne peut s’attaquer aux personnes, c’est plutôt à l’esprit et à l’intelligence qu’il faut parler, décemment, élégamment, raisonnablement.
Le texte discute le grand problème des rapports entre la religion et la violence, qui prendrait sa source dans une conception erronée de Dieu le mettant au-dessus de tout, incluant la raison. Théologiquement, Dieu EST Raison, Logos et Verbe. Avant de revenir sur la réhabilitation de l’héritage hellénistique que tente de faire Benoît XVI dans son texte, réfléchissons sur cette question de la raison en contexte contemporain. En relation avec mon champ de recherche, la religion dans la sphère publique, cette discussion sur la raison donne à penser. […]
*Solange Lefebvre est titulaire de la chaire en gestion de la diversité culturelle et religieuse (avant 2015 Religion, culture et société), à la faculté de théologie et de science des religions de l’Université de Montréal, depuis 2003. Elle est formée en musique – Interprétation piano (1984), en théologie (Ph.D. 1992) et en anthropologie sociale (D.E.A., Paris, 1996). Elle dirige depuis 2008 plusieurs projets comparatifs sur la gestion de la diversité religieuse par les États, financés par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada. Elle a fondé et dirigé le Centre d’étude des religions de l’Université de Montréal, de 2000 à 2008, et fut reçue à la Société royale du Canada en 2011. Membre du comité des experts de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables et l’interculturalisme, elle travaille sur les courants socioreligieux contemporains, et se trouve régulièrement consultée sur les enjeux de diversité. Elle enseigne aussi en théologie et a travaillé sur les générations et la spiritualité, ayant publié par exemple le livre Cultures et spiritualités des jeunes. Elle compte près de 200 publications et agit fréquemment comme personne ressource dans les médias. Elle a notamment couvert le conclave de 2013 à Rome, pour la chaîne télévisée canadienne CTV.
Site web de la Chaire : www.gdcr.umontreal.ca
Page Academia : https://universityofmontreal.academia.edu/SolangeLefebvre/papers